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Les femmes, la peine maximum

Le 16 mars, face à la pandémie et à sa propre impréparation, le pouvoir décrète le confinement, la vie s’arrête.

En Martinique, brutalement, de nombreuses personnes se retrouvent dans une situation sans issue. Et, bien entendu, les femmes sont les plus touchées et les plus démunies. Plus de travail, plus de job : les aides-ménagères, les vendeuses de repas de tout genre (sandwiches à la morue, etc.) se retrouvent sans aucun revenu. Avec leurs enfants, elles regardent le placard et le réfrigérateur se vider à grande vitesse, sans aucune possibilité de les remplir. La situation est d’autant plus angoissante qu’elles assurent depuis de nombreuses semaines les trois repas – alors que celui du midi est pris en charge, souvent gratuitement, par les municipalités en période scolaire normale… Mais là, des enfants qui, comme les autres, ont faim matin, midi et soir. Et dont la seule activité, comme pour tous les autres, est de manger ou de vouloir manger matin, midi et soir ! Au bout de trois jours, les paniers donnés pour une semaine par les réseaux bénévoles de solidarité sont déjà bien entamés.

Ces difficultés sont aggravées par une autre de taille : aucun moyen de se déplacer pour aller utiliser les derniers sous, que ce soit pour la nourriture ou pour la santé. Pas de bus, pas de stop. Les femmes sont assignées à résidence, face à elles-mêmes et à leur dénuement. Et ça continue…

De plus, quelle que soit leur situation, elles doivent faire la maîtresse d’école. Mi bab ! On ne s’étendra pas ici sur les rapports que ces familles opprimées entretiennent avec l’école depuis leur propre expérience d’élèves et maintenant, avec celle de leurs enfants.Comment expliquer et faire assimiler des notions que soi-même on ne maîtrise pas, et cela dans des espaces souvent réduits, avec la télé, les bruits des unes, des uns et des autres ? En outre, ces familles devraient travailler par internet. Quelle supercherie ! A la fracture sociale s’ajoute la fracture numérique. Est-ce que l’on s’en est inquiété ? Oh non ! Les tensions sont énormes. L’impuissance, ce sentiment de ne pas être à la hauteur peuvent faire basculer dans la violence.

Et pour compléter le tableau, le manque d’eau a été, chez de nombreuses familles de toutes les conditions sociales, le summum pour les femmes. Oui pour les femmes. Les reportages des médias nous les montrent près de citernes où elles sont majoritaires.

Du coup, elles sont en colère et le disent. Elles savent que cette situation ne fait qu’alourdir les tâches qu’elles assument au quotidien. En colère, quand elles savent que cela pourrait être évité. En colère, quand elles entendent les débats entre gens de pouvoir qui, eux, ne souffrent pas de cette situation. Et dans cette colère, elles rejoignent la colère des femmes opprimées du monde entier puisque, dans le monde entier, la corvée de l’eau leur revient.

Certes, il arrive parfois qu’il y ait un homme à la maison, et qu’il « aide », mais la charge mentale est toujours pour la femme et elle en est parfois encore plus lourde.

A ce sombre tableau il faut ajouter, justement, les violences dites conjugales qui se sont aggravées dans le huis-clos du confinement, souvent sans possibilité pour les femmes de les dénoncer, malgré les dispositifs mis en place.

Nous ne pourrions terminer ce tableau de la misère sans évoquer celle des femmes migrantes venues dans notre pays pour trouver une vie meilleure. Mais ici, on ne les attend pas, on ne les accueille pas. Nous les avons rencontrées, ces femmes, entassées à 4, voire 5, dans une chambre louée à des marchands.es de sommeil. Deux fois confinées, la peur au ventre, elles espèrent le sésame – le permis de séjour que leur refuse la préfecture. Et nous, nous ne pouvions leur offrir qu’une obole : de quoi manger, un sourire, an parol pou yo. Nous n’étions pas très fières…

Face à ce maximum de peine, ces femmes – les femmes en général – sont stressées, épuisées, et dans un état de santé plus qu’inquiétant. Elles triment, elles se démènent dans cette difficile période. Et le déconfinement ne va pas résoudre les difficultés comme par un coup de baguette magique. Pourtant cette pauvreté qui s’accentue, lourde, pesante, laide ne fait pas la une des médias, ni celles des plénières…

Il ne suffit pas de donner des subventions aux associations si pleines de bonne volonté qui feront le job de soulager quelques bouches pendant quelques jours. La pauvreté est une violence de notre système libéral, une injustice. D’autant plus que la crise sanitaire a rendu aveuglante cette vérité que sans toutes ces femmes, qu’elles soient aides-ménagères, gardes de personnes âgées, aides-soignantes, infirmières, personnels de services sociaux, caissières, employées des grandes surfaces, sans ces femmes, donc, rien ne pourrait tourner dans ce pays… et dans le monde… Alors, nous fermerons-nous les yeux pendant longtemps encore ? Laissera-t-on ces femmes dans leurs piteux logements avec leur marmaille, leur santé défaillante, leur désespoir, aux prises avec la fatalité ?

Mesdames et Messieurs qui siégez dans les assemblées ici et ailleurs, Mesdames et Messieurs les représentantes et représentants de l’Etat français, nous exigeons aujourd’hui que se tiennent les « Etats généraux de la pauvreté » afin de trouver des vraies solutions permettant une vie décente à toutes et tous.

Citoyennes et Citoyens de notre pays, nous ne pouvons pas continuer de vivre en aveugle en ignorant l’autre tout près, plus bas, à côté.

Notre bien-être ne peut être que précaire quand d’autres se meurent.

George Arnauld et Huguette Bellemare,

Membres de l’association féministe Culture Égalité

Vendredi 22 mai 2020

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